Off White Lies

Un film de Maya KENIG

Sortie en salles : 12 juin 2013
Visa n°134057
Israël – 2011 – 86 min – HD – Couleur – Hébreu

Libby débarque à Tel Aviv pour retrouver son père qu’elle n’a pas vu depuis longtemps.

C’est le début de la deuxième guerre du Liban et ils se retrouvent dans un abri — anti bombardement.

Afin de trouver un toit, ils se font passer pour des réfugiés du Nord et sont accueillis par une riche famille de Jérusalem.

Off White Lies - Affiche

MAYA KENIG – ENTRETIEN

Comment OFF WHITE LIES est-il né ?

Juste avant le début de la Seconde guerre du Liban, je suis devenue maman et, du coup, je me suis retrouvée à allaiter tout en regardant les infos à la télé. Les images étaient difficiles et déstabilisantes — comme c’est le cas de toutes les guerres — et c’est dans ce contexte qu’a eu lieu mon “baptême du feu” de la maternité, dans cette terre des extrêmes qu’est Israël. Un élément positif tranchait quand même parmi toutes les images atroces diffusées à la télé : Esther, originaire de Kiryat Shmona (la ville la plus bombardée d’Israël), était tranquillement installée dans la cuisine de Yaël, à Tel Aviv, en train de boire un café et de bavarder. Le présentateur a précisé que deux jours plus tôt, Esther et Yaël ne se connaissaient pas le moins du monde et qu’elles étaient désormais bonnes amies. Visiblement, Yaël et sa famille avaient offert l’hospitalité à Esther et à ses proches à cause de la guerre, si bien qu’au lieu de se cacher dans un abri, ils étaient confortablement installés dans une maison, en toute sécurité. C’était un geste à la fois magnifique, amusant et surtout absurde. Tandis que la guerre se prolongeait, plusieurs familles ont participé à cette initiative “d’hospitalité”, ce qui a suscité des rencontres inattendues entre des gens issus de milieux très différents. À l’époque, mon père était sans domicile fixe (mais pas comme les SDF qui vivent dans la rue, pour autant que je sache). Sa deuxième ex-femme lui avait envoyé leur fille avec laquelle elle ne s’entendait pas bien. Et du coup, mon père et sa fille — ma demi-s?ur — se sont retrouvés à traîner dans des endroits bizarres, et ils se sont bien marrés. Je lui ai suggéré de faire comme Esther, de Kiryat Shmona, et de trouver une famille d’accueil en invoquant la guerre. Il a ri et ne m’a pas prise au sérieux. Mais j’ai décidé d’en faire un film.

Comment s’est passée l’écriture avec Dana Dimant ?

Je connais Dana depuis l’adolescence parce qu’elle a fait du baby-sitting pour mon petit frère : je l’admirais car c’était une véritable anticonformiste, qu’elle était extrêmement intelligente, qu’elle écrivait de magnifiques poèmes et nouvelles, et qu’elle avait un regard sur la vie qui n’appartenait qu’à elle. Au fil des années, on s’est un peu perdues de vue. Et puis, quelque temps après avoir terminé mes études de cinéma, j’ai eu l’idée de ce film qui m’a emballée. J’ai commencé à jeter sur le papier des réflexions, des scènes, des situations et des personnages — toutes sortes de choses qui gravitaient autour de l’idée de départ mais dont je n’arrivais pas à tirer un scénario en raison de l’ampleur du projet. C’est alors que je me suis dit que le mieux serait d’écrire à deux et j’ai immédiatement pensé à elle, même si elle n’évolue pas du tout dans le milieu du cinéma — ou peut-être pour cette raison-là justement… Elle est futée, très cinéphile, et elle nous connaît très bien, moi et ma famille. Je lui ai raconté le projet et je lui ai fait lire toutes mes notes : cela lui a beaucoup plu et on s’est mises au boulot ! C’était une formidable méthode de travail : on se voyait une fois par semaine — le plus souvent chez elle lorsque sa fille était à la maternelle — pendant deux ou trois heures au cours desquelles on parlait et on abordait toutes sortes de sujets autour du film, comme le rôle des parents, les unions libres, la sexualité chez les jeunes, la situation politique, la séparation, l’angoisse etc. Après ces réunions, on se fixait du travail à faire chacune de son côté, comme l’écriture de certaines scènes liées à notre conversation, et la fois suivante, on comparait ces scènes, on les réécrivait ensemble, et on repartait dans des discussions infinies… Cela a duré près d’un an. Au bout d’un moment, j’ai continué à travailler seule avec l’aide de mon mari, Gur, qui tient le rôle principal, et de mes producteurs.

Comment pourriez-vous décrire le personnage de Shaul ?

Pour moi, c’est un type bien intentionné, mais qui a beaucoup de mal à décrypter l’attitude des personnes de son entourage ou leurs sentiments, et cette limite propre à sa personnalité a des répercussions dans chacune des sphères de sa vie : amoureuse, professionnelle et, désormais, paternelle. Dans le même temps, il est totalement désorganisé et il vit dans sa bulle, sans conscience du temps et des échéances, si bien qu’il doit souvent réparer ses conneries. On pourrait dire de lui que c’est un libre penseur dans une optique romantique des choses, mais c’est surtout un homme perdu qui n’a pas conscience de ses propres dysfonctionnements.

C’est aussi une sorte d’inventeur…

Je voulais faire de lui un inventeur parce qu’il me semble évident qu’il est une sorte de marginal, incapable de conserver un boulot fixe et de faire partie d’un système rationnel, mais que, dans le même temps, c’est un type créatif et capable d’inventer des trucs. Ce n’est pas un bon à rien qui préfère dormir la plupart du temps : pour inventer des objets, il faut se lever le matin et se fixer des objectifs car personne n’est là pour le faire à sa place. Ce qui correspond, d’une certaine façon, à mon métier de metteur en scène.

Libby est-elle heureuse de retrouver son père ?

Libby a hâte de le retrouver et elle espère vivre une vie meilleure avec lui, dans un nouveau pays, et pouvoir ainsi prendre un nouveau départ. Elle n’est pas naïve : elle sait qu’il a été absent pendant des années, mais elle estime que ce sont les circonstances qui les ont éloignés l’un de l’autre, et non pas qu’il l’a abandonnée exprès. Du coup, même si elle a entendu suffisamment de propos méprisants sur son père pour ne pas trop se faire d’illusions, elle est résolue à lui donner sa chance. Comme tout ce qu’on lui a raconté sur lui vient de sa mère égocentrique et de son petit copain, et qu’elle ne leur fait pas franchement confiance, elle veut se faire sa propre idée de son père.

Vers la fin du film, Libby prend conscience qu’elle ne peut compter que sur elle-même, ce qui nous arrive à tous à un moment donné de notre vie. De son côté, Shaul est obligé de regarder la réalité en face et de comprendre ce que cela signifie que d’être responsable de quelqu’un d’autre que de soi-même.

Pensez-vous que Shaul ne cherche qu’à profiter de la situation en voulant se faire héberger par une famille aisée de Jérusalem ?

Je ne crois pas que Shaul soit assez machiavélique ou stratège pour échafauder des plans de ce genre. C’est un opportuniste qui saisit les occasions quand elles se présentent et qui tente alors d’en tirer parti. Il est ravi d’être tombé sur une famille aisée de Jérusalem car cela l’arrange pour son projet, mais s’il était tombé sur une mère célibataire de Tel-Aviv d’un milieu moins favorisé, il aurait tout aussi bien su y trouver son compte. Il est comme ça.

Au départ, Libby n’a pas l’air d’apprécier ses jeux de rôle, mais elle y prend goût progressivement…

Quand j’observe ma fille et ses copains, je me rends compte que la plupart des jeunes aiment les jeux de rôle, surtout quand il s’agit d’enfreindre les règles. Les ados en sont friands, et même si on leur a appris que c’était mal de mentir, lorsqu’un adulte les entraîne sur ce chemin, ils s’empressent de le suivre ! Et puis, Libby est la fille d’un père infantile et, à cet égard, elle est bien la fille de son père…

Quel est votre regard sur la famille Reichman ?

Ce sont des gens normaux, plutôt aisés, qui ont l’habitude de dîner ensemble et qui se sentent en sécurité, même s’il leur manque quelque chose d’essentiel. Ils ont, en un sens, renoncé au bonheur d’être ensemble et à une atmosphère chaleureuse. Ce qui m’intéressait, c’était d’explorer une situation où un père et sa fille, formant une famille dysfonctionnelle, se retrouvent dans un foyer apaisé et sécurisant, dont les habitants sont tellement protégés qu’ils en sont devenus blasés. Car même s’ils ont un toit au-dessus de leur tête, ce foyer peut aussi être vu comme une prison.

Ein Carem, le ravissant village où ils habitent, se situe tout près de Jérusalem. C’est un site très touristique car on y trouve plusieurs lieux saints, des églises et des fontaines. La population, très variée, se compose à la fois d’artistes, de personnes très pratiquantes, de familles fortunées et de hippies des temps modernes.

Pensez-vous que Gideon s’intéresse vraiment à l’invention de Shaul ?

Il y croit, même s’il a quelques réserves. Il n’a pas grand-chose à perdre en faisant jouer ses contacts et, de toute façon, la somme d’argent qu’il investit ne représente presque rien pour lui. Par ailleurs, il aime se sentir en position de mécène qui vient en aide aux gens modestes.

OFF WHITE LIES évoque parfois des road-movies comme PARIS, TEXAS…

Oui, je crois que PARIS, TEXAS m’a inspirée de manière indirecte, tout comme, rétrospectivement, LA BARBE À PAPA de Peter Bogdanovich et ALICE DANS LES VILLES de Wim Wenders. Au départ, j’avais imaginé un père et sa fille qui se baladaient dans une vieille voiture, et c’est alors que des images de PARIS, TEXAS me sont revenues en tête et j’imagine que cela m’a encouragée à créer cet univers magique.

Quels ont été vos partis pris de mise en scène ?

Avec mon chef-opérateur, nous avons beaucoup discuté de la gamme chromatique et nous avons même envisagé de tourner le film en noir et blanc pendant un moment, afin d’illustrer le thème du “pieux mensonge” [mensonge “blanc” en anglais, NdT] et de donner à l’ensemble des décors la même luminosité. Mais nous avons abandonné cette première option, et nous avons privilégié les personnages hauts en couleurs. Du coup, nous nous sommes engagés dans la direction inverse et nous avons choisi des couleurs vives, en nous affranchissant parfois de la réalité, pour faire ressortir le vert du jardin des Reichman, le rouge du motel miteux, le bleu des yeux de Libby, le gris du trottoir près de chez Orly etc. Par ailleurs, on a décidé de tourner avec une caméra très mobile, si bien que même lorsqu’elle est sur un trépied, on a fait en sorte qu’elle continue à “respirer” et qu’elle ne soit pas trop rigide. J’adore les très gros plans, qui sont très importants pour moi : par exemple, dès le départ, je tenais à ce que lorsqu’on voit Libby dans la voiture avec son père pour la première fois depuis des années, on puisse lire de très près sur son visage les sentiments contrastés qu’elle éprouve.

Comment s’est déroulé le casting ?

J’ai fait appel à des professionnels et à des non professionnels. L’interprète de Shaul est Gur Bentwich, qui est également réalisateur (il joue dans ses propres films) et mon compagnon dans la vie (en d’autres termes mon mari, bien qu’on ne se soit jamais mariés), et c’est donc un acteur non professionnel, même s’il a le métier de comédien dans le sang. Le couple Reichman est interprété par deux très bons comédiens et leur fils est trompettiste dans la vie. Orly, qu’on aperçoit au balcon, est non professionnelle (c’est aussi la maman de Libby dans la vie). Quant à Elya, qui incarne Libby, c’est une adolescente qui n’avait jamais joué le moindre rôle jusque-là, si ce n’est dans les courts métrages avant-gardistes que son grand frère a tournés au lycée.

Comment les avez-vous dirigés ?

Je n’avais aucune idée préconçue quant à la direction d’acteur. Du coup, quand nous avons commencé à faire des lectures et à travailler sur le scénario, nous avons, en quelque sorte, défini les personnages ensemble, avec les comédiens. Je les écoutais dire leur texte et lorsqu’une phrase n’avait aucun sens ou ne sonnait pas juste, on s’arrêtait pour comprendre ce qui ne fonctionnait pas. La plupart du temps, pendant les répétitions et parfois même sur le plateau, on modifiait le texte et on le retravaillait jusqu’à ce qu’il nous semble naturel. Pendant les répétitions, on improvisait beaucoup sur telle ou telle scène jusqu’à ce qu’elle nous semble juste, et puis on l’écrivait, pour être certain de ne pas l’oublier.

Quelles musiques avez-vous utilisées ?

Il y a à la fois de la musique originale composée spécialement pour le film et des chansons que j’aime et dont je sentais qu’elles s’accorderaient bien aux images et à l’histoire. Comme, par exemple, un titre de Robert Wyatt, un de mes musiciens préférés. J’aime mêler les styles et les instruments, un peu à l’image du film. Je trouve que le métissage des genres crée un style à part entière.

Quel accueil le film a-t-il reçu en Israël ?

Même s’il est difficile pour moi de rester objective, je pense que pas mal de spectateurs se sont retrouvés dans certains personnages. Par exemple, je sais que plusieurs pères divorcés ont été émus, que les ados ont été intrigués, et que d’autres y ont vu une comédie, ce qui m’a surprise car ce n’était pas dans mes intentions. Certains critiques ont adoré le film, et d’autres l’ont traité par le mépris !