LION D'OR à la Mostra de Venise en 1965

LA CHASSE AU LION A L’ARC

Un film de Jean ROUCH

Sortie en salles : 26 octobre 2016
Visa n°30782
Genre : documentaire | Année : 1967 | 77mn / Couleurs / 1:33 / mono | Nationalité : Française

A la frontière du Mali et du Niger, les hommes vivent en parfaite harmonie avec le cosmos. Les vaches paissent tranquillement, même en compagnie des lions. Cependant, il arrive que l’ordre cosmique soit rompu lorsqu’un lion décide de s’attaquer à une vache. On décide alors rituellement de partir à la chasse au lion, qui se pratique tous les quatre ans et nécessite une préparation très poussée. Des flèches empoisonnées sont confectionnées, les arcs sont fabriqués tandis que l’on procède à des danses et des incantations pour préparer le poison, le boto. Des pièges sont mis en place et lorsque l’animal s’y engouffre, le chasseur n’a plus qu’à tirer sa flèche…

LA CHASSE AU LION A L’ARC - Affiche

Maintenir l'harmonie du monde

Tourné sur sept ans, de 1958 à 1965, La chasse au lion à l’arc appartient à l’exploration du continent africain par Jean Rouch. Mais loin de tout exotisme condescendant ou de la froideur du point de vue scientifique, le cinéaste privilégie ce qu’il appelle l'”anthropologie partagée”. Autrement dit, il fait participer ses “personnages” à l’action qui, du même coup, deviennent narrateurs au même titre que lui. Grâce à cette formidable interaction, Rouch trouve la bonne distance avec ses sujets filmés et place le spectateur en empathie avec des êtres humains qui pourraient nous sembler totalement étrangers.

Le réalisateur donne à son film la forme d’un conte panthéiste sans réduire les chasseurs et les bergers, protagonistes de l’histoire, à des abstractions. Il nous plonge dans le “pays plus loin que loin”, quelque part entre le Mali et le Niger, où règne l’harmonie entre les hommes et la nature. C’est ainsi que les lions ne s’attaquent qu’aux vaches malades, préservant la santé du bétail et l’ordre du monde. Mais il arrive que les fauves tuent abusivement l’un des bovins : il faut alors l’exterminer pour rétablir l’harmonie un instant perturbée. Comme dans tous les grands mythes cosmogoniques, la mise à mort de l’animal obéit à des rites ancestraux, hérités des “hommes d’avant”. Tout d’abord, les chasseurs, caste à part, fabriquent les flèches empoisonnées, opération qui n’a lieu que tous les quatre ans. Puis, ils pistent le lion et installent les pièges. Enfin, ils le tuent.

Pourtant, si la mise à mort reste cruelle, elle se démarque de la chasse au sens occidental du terme. Les Peuls filmés par Rouch ne prennent pas une vie à la légère : profondément respectueux de l’ordre du monde, ils demandent pardon à l’animal de l’avoir tué et libèrent son âme suivant un rituel bien précis. En mêlant à son commentaire la traduction des incantations et des prières, le cinéaste maintient constamment la proximité entre ces hommes aux mœurs lointaines des nôtres et le spectateur. Une manière formidable de faire du cinéma une passerelle vers l’altérité.

Grand film d’aventures, La chasse au lion à l’arc entretient également un suspense inattendu. Lorsque les bergers, qui ne sont pas habilités à tuer le fauve, décident d’accompagner les chasseurs, ils s’exposent aux pires dangers. Le drame ne manque pas de se produire : Jean Rouch choisit de ne pas filmer la violence de l’assaut car sa caméra n’est pas voyeuse. Mais il nous fait partager le calvaire de la famille de la victime. Une œuvre majeure qui dépasse largement le strict cadre du documentaire

Jean Rouch, la fiction, comme arme du documentaire

Grand maître du documentaire ethnographique, Jean Rouch est l’auteur de plus de 120 films qui ont totalement redéfini la conception moderne du cinéma scientifique. Né en 1917, il découvre l’Afrique en 1941 alors qu’il est ingénieur des Ponts et Chaussées. Six ans plus tard, il tourne son premier court métrage, Au pays des mages noirs. En 1952, il fonde avec André Leroi-Gourhan le comité du film ethnographique, puis il signe avec Les Maîtres fous (1954) sa première œuvre majeure : on y découvre les rites de possession du Niger comme on ne les a encore jamais vus. Dès lors, Rouch parle de “ciné-transe”, dispositif de tournage caméra à l’épaule impliquant la participation du réalisateur aux événements filmés. Autant dire qu’il assume sa subjectivité et son empathie pour les “personnages” de ses documentaires. Il est vivement critiqué par la communauté scientifique pour son mélange des genres.

Par la suite, de Moi, un Noir (1958) à La chasse au lion à l’arc (1965), de Jaguar (1967) à Cocorico, monsieur Poulet (1974), il fait de plus en plus se côtoyer cinéma du réel et fiction, n’hésitant pas à recourir à l’improvisation et à solliciter la participation de ses protagonistes. Admiratif de la modernité de son approche, Jean-Luc Godard compare Moi, un Noir à “un pavé dans la mare du cinéma français comme en son temps Rome, ville ouverte dans celle du cinéma mondial”. Son œuvre des années 60, à l’instar de La punition (1962), Les veuves de quinze ans (1964) et surtout Gare du Nord (1964), confirme que Jean Rouch appartient bel et bien à la Nouvelle Vague.

En 1960, Rouch coréalise Chronique d’un été avec le sociologue Edgar Morin, illustrant le premier essai de “cinéma-vérité” selon l’expression du cinéaste. Observation du Paris de la décolonisation, le film met, là encore, largement à contribution les personnes rencontrées. Bien plus, il est tourné avec les nouveaux outils légers du documentaire : son direct et caméra portée 16 mm. Et pourtant, malgré sa portée scientifique, les films de Jean Rouch n’ont rien d’austère. Bien au contraire, il s’en dégage une fantaisie et une humanité qu’on n’associe pas en général au documentaire ethnographique. Il se livre lui-même devant la caméra de Jean-André Fieschi pour son portrait Mosso Mosso (1999) où on l’entend avec bonheur affabuler et se réinventer, comme Edward G. Robinson dans Moi, un Noir. Rouch disparaît au Niger dans un accident de la route à l’âge de 86 ans.