"Une oeuvre d'une poésie aussi pure et aussi vraie que l'était celle des Visiteurs du soir, du même Carné" Le Monde, 12 mai 1951
JULIETTE OU LA CLEF DES SONGES
Un film de Marcel CARNÉ
FILM RESTAURÉ EN 4K
Sortie en salles : 2 juin 2021
1951 | France | Comédie dramatique | 92 min | 1,37 | mono
NB | VF | Visa n°10.539
Michel a volé par amour.Dans sa prison, Michel songe à Juliette, la jeune fille qu’il aime et qui, probablement l’a oublié. Au cours de sa rêverie, une lumière inconnue envahit la cellule et Michel est entrainé vers un village de rêve dont les habitants semblent avoir perdu la mémoire.
Juliette, elle, est retenue par un mystérieux châtelain, fort jaloux, qu’elle doit épouser.
Au fils de ses pérégrinations, Michel croise des personnages singuliers mais arrivera t-il à retrouver Juliette ?
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A propos du film :
Marcel Carné eut l’idée de tourner une adaptation de la pièce de Georges Neveux quand il l’a vit jouer au théâtre avec Falconetti dans le rôle de Juliette dans les années 30. Il en fit part au producteur André Paulvé avec qui il venait de signer un contrat qui devait déboucher sur Les Visiteurs du soir et Les Enfants du Paradis. Nous étions à la fin de l’année 1940 et le dernier film de Carné était Le Jour se lève.
Pour le rôle de Michel, Carné pensa évidemment à Jean Marais. Mais à quelques jours du tournage, le producteur renonça au projet devant les risques d’interdiction du film par la censure et Carné se mit avec Jacques Prévert à travailler sur le projet qui aboutit aux Visiteurs du Soir.
Ce n’est qu’à la fin de l’année 1949 que Carné proposa Juliette au producteur Sacha Gordine, qui venait de produire La Marie du Port. Les décors furent confiés à Alexandre Trauner, collaborateur régulier de Carné depuis Le Quai des brumes et Drôle de drame, notamment sur Le Jour se lève, Hôtel du Nord et Les Visiteurs du soir, tout comme Henri Alekan, également chef opérateur sur La Belle et la bête de Cocteau en plus de ses films tournés avec Carné. La musique fut elle dirigée d’une main de maître par Joseph Kosma, qui avait aussi travaillé sur les films de Jean Renoir (Partie de Campagne, La Grande Illusion, La Bête humaine) et qui sera primé à Cannes pour cette partition.
Du côté des acteurs, Carné envisagea d’abord de confier le rôle de Barbe Bleue au Frederick Lemaitre des Enfants du Paradis, à Pierre Brasseur ou encore à Gérard Oury (qui n’était pas alors le réalisateur que l’on connait). Pour Juliette, il y eut sept essais, avec notamment Leslie Caron qui signa un contrat avec la MGM à Hollywood la veille d’être sélectionnée. Et c’est l’actrice canadienne Suzanne Cloutier, qui venait de tourner sous la direction d’Orson Welles dans le splendide Othello, qui fut finalement choisie pour jouer le rôle de la femme pure et ingénue que l’on retrouve dans quasi tous les films de Carné, depuis Lisette Lanvin dans Jenny en passant par Marie Déa dans les Visiteur du Soir et Jacqueline Laurent dans Le Jour se lève.
Puis, le rôle de l’accordéoniste fut donné à Yves Robert, le futur réalisateur du Grand Blond avec une chaussure noire. Quant au rôle de Michel, après avoir essayé en vain Serge Reggiani et Michel Auclair, Carné se décida pour Gérard Philipe.
Le film fut sélectionné pour le festival de Cannes 1951 mais malheureusement le film fut accueilli, d’après les mémoires de Carné, « dans un silence glacé. Pas un applaudissement, rien » et incompris par les critiques, tout comme Drôle de drame à sa sortie. Mais il fut toutefois salué à sa sortie pour sa grande beauté formelle. Ainsi, dans Les Cahiers du cinéma (no 3, juin 1951), Frédéric Laclos, avance que Juliette s’inscrit dans la ligne des autres films de Carné et souligne « une étonnante permanence des thèmes, même en l’absence de Prévert ». Georges Charensol, dans Les Nouvelles littéraires (29 mai 1951) établit une parenté avec les films de Cocteau. Dans Le Monde (12 mai 1951), Henry Magnan parle aussi d’une « œuvre de classe tout à fait exceptionnelle, d’une beauté formelle que justifie la nature du thème choisi, d’une poésie aussi pure et aussi vraie que l’était celle des Visiteurs du soir, du même Carné, d’une efficacité, enfin qui a tôt fait de décourager les rires des spectateurs que déconcerte au départ un brusque passage du réel à l’imaginaire. » Mais c’est peut-être Pierre Leprohon, dans son compte-rendu de la projection cannoise pour Cinémonde, qui a le mieux saisi le charme onirique procuré par le film: « Quand s’effacent sur l’écran les dernières et radieuses images du film de Carné, il ne semble pas qu’une chose finisse… Il semble qu’elle commence. C’est le propre des grandes œuvres que leur accomplissement n’en limite pas la durée. Cette ‘‘Clef des Songes’’ ouvre pour nous des prolongements, des perspectives, des rayonnements que nous ne sommes pas près d’épuiser. On est séduit tout au long du film par son charme et par sa poésie, mais c’est dans l’enchantement qu’il laisse que l’on découvre sa richesse, sa complexité, le foisonnement des idées, tour à tour jolies, puissantes et cruelles, comme autant de sources, mêlant leurs eaux dans la majesté du fleuve qui les emporte… »
Marcel Carné :
Marcel Carné, fait son entrée dans le monde du cinéma en tant que journaliste et critique avant de se lancer dans la réalisation de ses premiers films. En 1929, il signe un documentaire sur les escapades dominicales des jeunes Français avec Nogent Eldorado du dimanche, avant de mettre en scène son premier long métrage de fiction sept ans plus tard, Jenny. Cette période marque sa rencontre avec l’auteur et dialoguiste Jacques Prévert : dès lors, les deux hommes, artistiquement complémentaires, vont collaborer sur plusieurs des œuvres capitales du cinéma d’avant-guerre. Ensemble, ils confirment leur potentiel grâce à Drôle de drame, mais c’est en 1938 qu’ils révèlent l’étendue de leur talent avec Le Quai des brumes, devenu un classique du cinéma français, notamment grâce à la fameuse réplique “T’as d’beaux yeux, tu sais !” que Jean Gabin lance à la jeune Michèle Morgan, alors inconnue du grand public. Le film pose les jalons de l’appartenance du tandem Carné/Prévert à la veine du “réalisme poétique”, courant artistique inspiré de l’esthétique expressionniste, qui met en exergue des personnages souvent prolétaires frappés par la fatalité.
Très marqué par l’avènement du Front Populaire, le cinéma de l’époque se fait en quelque sorte missionnaire des idées et des valeurs du parti à travers l’importance de ses dialogues, et accorde une place de premier ordre à l’éclairage et à la lumière. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la suite de la filmographie de Carné, toujours accompagné de Prévert. A eux deux, ils combinent le symbolisme des dialogues à la poésie de la mise en scène, et signent des œuvres majeures du courant, comme Hôtel du Nord et Le Jour se lève, s’inscrivant ainsi parmi les chefs de file du mouvement aux côtés d’autres grands réalisateurs comme Jean Vigo, René Clair, Jean Renoir, ou encore Julien Duvivier.
Malgré un climat politique instable perturbé par l’arrivée au pouvoir du régime de Vichy, Carné poursuit ses activités et réalise en 1945 Les Enfants du paradis, parabole qui dénonce l’Occupation. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le cinéaste prend un tournant en se séparant de son dialoguiste Jacques Prévert : il se détache du réalisme poétique au profit d’une trilogie qu’il veut naturaliste, avec trois films plus académiques, à savoir La Marie du port, Thérèse Raquin et L’Air de Paris. Jusqu’à la fin de sa vie, Carné continue d’exercer et termine sa carrière sur Mouche, qui restera inachevé. Il s’éteint en 1996, laissant derrière lui l’invention d’un nouveau langage qui en influencera plus d’un, de Bergman à Visconti en passant par Demy et Téchiné, et marquant également d’une empreinte indélébile l’esthétique du néo-réalisme italien et de la Nouvelle Vague.
Gérard Philippe :
Le jeune Gérard Philip passe une enfance tranquille dans le Sud de la France. Il étudie les arts dramatiques sous l’impulsion du réalisateur Marc Allégret, puis débute sur les planches à Nice, en 1942, dans la pièce Une grande fille toute simple. Par superstition, un “e” est ajouté à la fin de son nom de famille, afin que son nom entier contienne treize lettres. En 1943, Gérard Philipe s’installe à Paris avec sa famille et intègre le Conservatoire. C’est un moment charnière dans la carrière du jeune homme, qui devient un immense acteur de théâtre. Il connaît un succès immédiat dans le Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, puis confirme avec le Caligula d’Albert Camus. Membre du TNP (Théâtre National Populaire) de Jean Vilar, il marque les esprits avec ses prestations dans Le Cid de Pierre Corneille en 1951, puis Ruy Blas de Victor Hugo, Lorenzaccio d’Alfred de Musset ou encore Le Prince de Hombourg d’Heinrich Von Kleist.
Sur grand écran, Gérard Philipe connaît également un énorme succès. L’acteur, doté d’un physique de jeune premier très avantageux, est lancé par Marc Allégret avec un rôle dans Les Petites du quai aux fleurs (1944). Il donne la réplique à Micheline Presle dans Le Diable au corps de Claude Autant-Lara (1947), joue sous la direction de René Clair dans La Beauté du Diable (1949), mais c’est en 1952 qu’il connaît véritablement la gloire avec le rôle-titre du film de cape et d’épée Fanfan la Tulipe, réalisé par Christian-Jaque.
Son talent pur, son indéniable charisme, son élégance, l’espèce de fragilité qu’il balade sur scène comme à l’écran quel que soit le registre abordé, font de Gérard Philipe une véritable idole dans les années 50. Acteur culte, Gérard Philipe aura marqué l’histoire du théâtre et du cinéma. Très engagé, il fut un dirigeant syndical de grande envergure qui n’aura jamais cessé de défendre les intérêts du métier d’acteur. Son statut d’icône est renforcé lorsqu’il décède tragiquement, quelques jours avant de fêter ses trente-sept ans, d’un foudroyant cancer.
Suzanne Cloutier
Elle est née le .
Elle étudie à Montréal au Collège Marguerite-Bourgeoys et à Trois-Rivières. En 1943 elle part pour New York avec un contrat de mannequin pour le magazine Vogue. Elle est bientôt remarquée et se retrouve à Hollywood pour jouer dans Tentation d’Irving Pichel qui met en vedette Merle Oberon et George Brent. Elle joue trois ans aux États-Unis au sein de la troupe de Charles Laughton au théâtre Coronet, dans des productions de Shakespeare, puis est engagée par la Compagnie itinérante de Jean Dasté en 1948.
En 1949, Julien Duvivier lui offre le rôle principal du film Au royaume des cieux. Le film est sélectionné au Festival des films de Venise où Orson Welles la remarque, et lui fait signer un contrat de sept ans[réf. nécessaire].
Elle se voit offrir par Welles le grand rôle de Desdémone dans Othello, d’après la tragédie de Shakespeare, qui fut tourné au Maroc et à Venise, Rome et Paris et finalement, au terme d’un long parcours, sort en 1952. Elle jouera dans The Unthinking lobster, pièce écrite par Welles et présentée au Théâtre Édouard VII.
En 1950 elle joue avec Gérard Philipe dans Juliette ou la Clef des songes de Marcel Carné. Elle joue aussi dans Derby Day (1951) d’Herbert Wilcox et dans Toubib or not Toubib (Doctor in the House) (1954) de Ralph Thomas. Sous contrat avec la Paramount, elle ne renonce pas au théâtre et produira Waiting for Godot de Samuel Beckett au théâtre de Babylone, dont elle est devenue copropriétaire.
Dès 1953 elle fait partie de la production londonienne No Sign to the Dove de Peter Ustinov qu’elle épousera en 1954. Elle accompagne son mari dans la tournée américaine de son succès Romanoff and Juliet, où elle joue Marfa, et dans les années qui suivent mettra au monde trois enfants. Au début des années 1960, elle joue dans Billy Budd, adaptation pour le grand écran d’Herman Melville où Peter Ustinov joue un des rôles principaux (Post Captain) aux côtés de Robert Ryan et Melvyn Douglas. Ce sera la première apparition au cinéma de Terence Stamp qui, de son propre aveu, doit ce rôle (Billy Budd) à Suzanne Cloutier. Elle participe aussi à Lady L (1965) écrit et réalisé par Ustinov qui donnera le premier rôle à Sophia Loren et Paul Newman. Ses trois maternités (Pavla, Igor et Andrea) compromettront la poursuite d’une carrière pourtant bien engagée.
Après son divorce en 1971, Suzanne Cloutier a joué un rôle de productrice important : elle travaille avec Michel Butler pour présenter la production musicale Hair à Broadway, qui fut un gigantesque succès. Domiciliée à Paris, elle agit en tant que consultante artistique pour des festivals de films, collabore avec l’impresario Nina Carlweiss dans des projets avec Robert Wilson, Peter Brook et Andrei Serban. Elle se rend au Sénégal, au Mali, en Haute-Volta, au Ghana, et au Nigéria afin de produire Jammin’ in Africa pour le réalisateur Jean-Luc Mazignon. En 1970, elle produira à Paris, au théâtre des Bouffes du Nord, un documentaire musical sur l’extase mystique : Djarahi, également intitulé Sufi Dervishes.
Amie de longue date d’Orson Welles, elle contribuera au financement de deux films de ce réalisateur qui ne verront malheureusement pas le jour. The Other Side of the Wind est une fiction semi-autobiographique de Welles, dans laquelle un réalisateur célèbre – joué par John Huston – tente de trouver le financement de son film.
Domiciliée en Californie jusqu’à la fin des années 1980, Suzanne Cloutier retournera vivre à Montréal les quinze dernières années de sa vie. Elle décède des suites d’un cancer le 2 décembre 2003.