JE SUIS UN FUGITIF
Un film de Alberto Cavalcanti
Un superbe film noir qui s'inscrit dans la tradition du genre tout en étant typique du cinéma anglais
Sortie en salles : 13 septembre 2023
1947 | Royaume-Uni | Thriller/film noir | 99 | 1,37 | Mono
NB | VOSTF | Visa n°7606
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A propos du film par CINEMADERIEN.fr
« They Made me a Fugitive » est l’un des derniers films britanniques d’Alberto Cavalcanti où il s’est installé entre 1933 et 1950. Pendant cette période il aura une influence remarquable sur le cinéma britannique à travers sa participation au GPO Film Unit puis aux studios Ealing. En 1946-47, il claque la porte des studios Ealing et signera encore trois films avant de repartir pour le Brésil en 1950.
« They made me a Fugitive » est un film noir sans concession sur l’immédiat après-guerre.
Alors que la paix est revenue, le crime est lui florissant grâce au terreau du rationnement. Le marché noir bat son plein. Le mafieux Narcy (Griffith Jones), avec son apparence de gentleman tiré à quatre épingles, est de ceux qui exploitent le système pour s’enrichir. Derrière la couverture de son magasin de pompes funèbres, il transporte des cercueils remplis d’alcool, de bas ou encore de cigarettes. Le début du film a un ton proche de la comédie noire à la sauce Ealing, quand on voit les croque-morts rentrer le cercueil dans l’échoppe sous l’oeil bienveillant d’un policier, une vieille dame digne qui ouvre la porte… pour s’apercevoir quelques instants plus tard que leur commerce n’a rien d’honnête.
Parallèlement, l’ancien pilote de la prestigieuse Royal Air Force, Clem Morgan (Trevor Horward) trouve quelques difficultés à revenir à la vie civile. Il peine à survivre et se noit dans l’alcool. Aussi quand Narcy lui propose de participer à son trafic, il met sa morale de côté et accepte. Mais les tensions entre les deux hommes naissent bientôt quand Clem se rend compte que Narcy transporte aussi occasionnellement de la drogue et qu’il lorgne sur sa petite amie.
Narcy va alors tendre un piège à Clem pour s’en débarrasser. Mais quand Sally (Sally Gray) l’ex-petite amie de Narcy va voir Clem en prison et lui avoue que Narcy lui a tendu un piège et sort désormais avec sa compagne, son sang ne fait qu’un tour, et il ne tarde pas à organiser son évasion.
Trevor Horward (qui ici signe l’un de ses plus beaux rôles même s’il ne fait pas du tout les 27 ans qu’est supposé avoir le personnage !) campe un homme blessé et trahi qui a soif de revanche. Clem n’est cependant pas le héros tout blanc de l’histoire. Même si dans une scène surréaliste et incroyablement noire, il refuse de tuer le mari de la femme chez qui il s’est réfugié (« Je ne suis pas un assassin »), on le sent sur le fil du rasoir. L’envie de revanche fait ressortir sa brutalité. Clem veut que le sang coule.
Des scènes mémorables, une tension omniprésente… « They Made me a fugitive » est une perle du film noir à la brutalité sans concession. Le tout est saupoudré d’humour noir à froid qui ne fait que ressortir davantage la cruauté de l’ensemble. La romance entre Clem et Sally elle-même semble toxique.
Cavalcanti utilise tous ses talents de documentariste et de mise en scène de fiction pour rendre la traque de Clem réaliste et haletante (Le film bénéficie en outre de la superbe photographie noir et blanc d’Otto Heller).
Cinemaderien.fr
A propos du film par CULTUROPOING.fr
Je suis un fugitif est l’histoire d’un faux coupable, ou plutôt d’un homme coupable de s’être livré à la criminalité, mais innocent du meurtre dont on l’accuse. Le titre français semble renvoyer à Je suis un évadé, film de 1932 de Melvyn LeRoy où Paul Muni, ancien soldat de la Première Guerre mondiale, incapable de se réadapter, s’évadait de prison. Mais Je suis un fugitif n’a rien d’un film d’évasion, celle-ci étant d’ailleurs traitée par une ellipse. Auteur d’une importante œuvre documentaire, le cinéaste brésilien Alberto Cavalcanti semble plus intéressé par l’atmosphère de son film, réaliste et d’une rare noirceur, à tel point qu’il est surprenant de constater que le scénariste, Noel Langley, avait aussi œuvré sur Le Magicien d’Oz. Car Je suis un fugitif étonne par sa violence. Trevord Howard, truand, amoral, témoignant d’un parfait sadisme envers les femmes, rappelle les grands psychopathes du noir, du James Cagney de L’Ennemi Public au Richard Conte d’Association Criminelle. Le héros, pour sa part, est très sombre et n’attire guère la sympathie. Quant à la petite amie de Narcy, Sally Gray, que l’on imagine un temps camper un personnage de femme fatale, elle s’avère assez vite désarmée ; voilà, en somme, une belle galerie d’anti-héros et le film n’offre guère de répit au spectateur, si ce n’est un certain humour noir. Au contraire, il recèle une vision très noire du monde, où chacun cherche à se servir de l’autre ; ainsi cette scène où Clem, après s’être évadé, trouve par hasard refuge chez une femme qui, après l’avoir nourri, propose de lui céder un revolver contre le meurtre de son mari.
Je suis un fugitif, sorti en 1947, est un spiv, sous-genre du British Noir prenant place dans le monde des trafics et du marché noir de l’après-guerre anglais. Ici, ce sont des cercueils qui servent à convoyer, non pas la pénicilline frelatée du Troisième Homme de Carol Reed, mais de la cocaïne, substance rarement exposée aussi frontalement dans le film noir. Autre curiosité, l’affrontement final qui a lieu au sein de l’entreprise de pompes funèbres. Un angelot en stuc, un squelette accolé à une horloge, un lent travelling qui pénètre les lieux, un cadre qui s’effondre avec fracas, un truand s’est caché dans un cercueil, un toit où les antagonistes s’affrontent autour d’un enseigne « R.I.P. », un panneau qui indique une chapelle ; tout cela a des airs de cimetière et l’on se croirait, un instant, dans un film gothique italien, un Bava période Masque du Démon, ou une œuvre de la Hammer. Le film étonne aussi par sa mise en scène, la qualité de ses cadrages, quelques angles et surimpressions surprenants, ou la beauté de sa lumière, signée Otto Heller. On songe à Anthony Mann pour le réalisme, à Jules Dassin pour un certain lyrisme ou encore à Joseph H. Lewis pour la cruauté, puis on finit par se dire que ce film ne ressemble, en fait, qu’à lui-même. Cavalcanti a tourné là un excellent film noir, mais avec une sensibilité latine.
Alberto CAVALCANTI
Diplômé en architecture-décoration de l’École des Beaux-Arts de Genève en 19163, Alberto Cavalcanti arrive à Paris au début des années 1920, et s’installe très tôt en France.
Il se lie rapidement aux milieux d’avant-garde de l’époque et, après diverses expériences en tant que décorateur (notamment de L’Inhumaine de Marcel L’Herbier), il commence sa carrière de réalisateur en 1926 avec son premier film, Rien que les heures. La même année, il prend la nationalité française.
Maître authentique de l’art cinématographique brésilien du xxe siècle, Cavalcanti a enraciné sa réputation en tant que documentariste en Grande-Bretagne pendant les années 1930, avant de renforcer sa renommée par la production de quelques grands films pour les studios Ealing.
Cinéaste cosmopolite, on le découvre à Londres aux côtés de John Grierson dans les années 1930 pour la réalisation d’un documentaire Coal Face ou dans l’équipe son de Courrier de nuit (Night Mail, 1936) produit par Grierson. Il participe au grand mouvement documentaire-réaliste
À la fin des années 1940, de retour au Brésil, il tente de redonner une nouvelle impulsion au cinéma national.
Il tourne ensuite en République fédérale d’Allemagne Maître Puntila et son valet Matti (Herr Puntila und sein Knecht Matti, 1956) d’après la pièce de Bertolt Brecht, et de nouveau au Brésil, Le Chant de la mer (O Canto do mar, 1954).