VIVRE SA VIE

Un film de Jean-Luc GODARD

Sortie en salles : 15 février 2017
Visa n°25982
France - 1962 - 80 min | Noir et blanc – 1/1,33
Les droits d'exploitation de ce film sont échus

Nana fréquente depuis quelques années Paul, un journaliste raté. Nana s’ennuie et voudrait changer de vie, même si elle éprouve encore de la tendresse pour Paul. Elle aimerait surtout résoudre ses problèmes d’argent. Un soir, elle accepte de suivre à l’hôtel un inconnu rencontré sur les Champs-Elysées et se livre à la prostitution…

VIVRE SA VIE - Affiche

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Jean-Luc Godard - Expérimentateur de génie

Figure tutélaire de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard est sans doute l’un des cinéastes les plus marquants de l’après-guerre. Dès son premier long métrage en 1959, A bout de souffle, il bouleverse l’art cinématographique en l’affranchissant de ses contraintes formelles et narratives.

Né en 1930, il fait des études d’ethnologie à la Sorbonne, tout en fréquentant les salles du Quartier latin, où il fait la connaissance de François Truffaut et de Jacques Rivette. En 1952, il commence à écrire pour les Cahiers du cinéma, auxquels collaborent également Truffaut, Rivette, Rohmer et Chabrol. Deux ans plus tard, il signe son premier court métrage, Opération beton. Mais c’est en 1959 qu’il signe A bout de souffle qui, avec Les 400 coups de Truffaut et Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, donne le coup d’envoi de la Nouvelle Vague. Réinventant la forme narrative et la grammaire cinématographique — tout en puisant son inspiration dans le film de gangster américain —, Godard est aussitôt consacré cinéaste de la modernité, en rupture totale avec la tant décriée “qualité française” des années 50.

Il poursuit son exploration du médium cinématographique avec des œuvres novatrices comme Une femme est une femme (1961), Vivre sa vie (1962), Les Carabiniers (1963) et surtout Le Mépris (1963) qui s’interroge sur la nature même du cinéma.

A partir de mai 1968, Godard, qui se définit comme un réalisateur engagé, veut utiliser le cinéma pour lutter contre le système. Influencé par les courants maoïstes qui fleurissent à Paris, il cofonde un collectif destiné à réaliser des films politiques dont la plupart ne sortiront pas des cercles estudiantins les plus radicaux. Dans les années 70, il découvre la vidéo et signe Numéro Deux (1975) ou encore Ici et ailleurs (1976).

Il revient à un cinéma plus accessible avec Sauve qui peut (la vie) (1980), Passion (1982), Prénom Carmen (1983), Je vous salue marie (1983) et  Détective (1985).

Dans les années 90, il fait un retour à l’expérimentation avec Hélas pour moi (1993), JLG/JLG (1995) et For Ever Mozart (1996). Il signe encore Eloge de l’amour (2001), Notre musique (2004) et Film Socialisme (2010). Adulé ou honni, Godard reste l’un des plus grands créateurs du XXème siècle.

Anna Karina - L'égérie de la Nouvelle Vague

D’origine danoise, Anna Karina se découvre très tôt une passion pour le métier d’acteur. Repérée dès 1958 grâce à un rôle dans un court métrage primé à Cannes, elle s’installe à Paris où elle ne tarde pas à devenir mannequin pour Pierre Cardin. En 1959, Jean-Luc Godard lui offre le rôle principal d’A bout de souffle qu’elle refuse en raison de scènes de nu. Mais un an plus tard, elle devient la compagne et l’égérie du cinéaste, s’illustrant dans Le Petit soldat (1960), Une femme est une femme (1961), Vivre sa vie (1962), Bande à part (1964), Alphaville (1965) et Pierrot le fou (1965), son film préféré, dont sa célèbre réplique “Mais qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire !” est restée dans toutes les mémoires de cinéphiles.

Mais si la comédienne est à jamais marquée par le cinéma de Godard, elle n’en a pas moins séduit d’autres réalisateurs, comme Luchino Visconti pour L’Etranger (1966) ou George Cukor pour Justine (1968). On la retrouve encore dans La Religieuse (1966) de Jacques Rivette, Roulette chinoise (1976) de Fassbinder ou Haut, bas, fragile (1994) de Rivette.

Vivre sa vie - Le cinéma, comme manifeste de liberté

Liberté absolue. C’est la première réflexion qui vient à l’esprit après la (re)découverte du quatrième long métrage de Jean-Luc Godard. Liberté de ton, liberté dans les thèmes abordés, liberté de jeu d’Anna Karina, liberté dans les ruptures de style. Faux documentaire sur le quotidien d’une jeune femme glissant peu à peu vers la prostitution, Vivre sa vie offre surtout le point de vue radical d’un artiste sur le médium cinématographique, la servitude du capitalisme et la sexualité.

Découpé en douze chapitres, indiquant chacun le déroulement et le lieu de l’action, le film plonge son héroïne dans un Paris capté sur le vif par une caméra virtuose, personne à part entière de l’univers godardien. Impulsive et imprévisible, la caméra saisit un plan de Nana à la volée chez un disquaire, puis virevolte et “regarde” à travers la fenêtre. Dans un bar, elle balaie l’espace, comme si elle cherchait à circonscrire l’action au lieu. Et dans la rue, elle s’attarde sur une prostituée, puis croise le chemin de Raoul, le proxénète. La caméra n’est pas destinée à susciter un effet de style, mais à sonder le regard des gens et à dépeindre le mystère des âmes. Car le cinéaste, brisant par là même la convention du cinéma, rappelle au spectateur l’artificialité du dispositif pour mieux cerner la vérité intérieure d’un être.

Artiste ludique aimant jouer avec la forme, Godard s’amuse à utiliser les codes du polar et de la comédie. On assiste ainsi à des fusillades entre malfrats dans une ville soudain évocatrice des œuvres de Melville. Et l’on rit de séquences incongrues, qu’il s’agisse de ce voyou imitant un enfant qui gonfle un ballon ou de cette scène de danse improvisée au rythme d’un juke-box. Libre, toujours aussi libre, le réalisateur alors au sommet de son art ponctue son film d’échos poignants. Il nous montre Nana dans une salle de cinéma où l’on projette La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer : la jeune femme, qui s’identifie à Maria Falconetti, est bouleversée par le sort de la Pucelle, jugée et condamnée au bûcher par un tribunal d’hommes. Comment ne pas faire de parallèle entre la malheureuse héroïne du chef d’œuvre du muet et la protagoniste de Vivre sa vie, toutes deux victimes d’une société foncièrement patriarcale ?

Epoustouflante Anna Karina. Pour capter la fraîcheur de son jeu, Godard — à qui elle était alors mariée — refusait de lui donner son texte jusqu’au dernier moment et ne tournait le plus souvent qu’une seule prise. Avec sa peau de porcelaine, son regard inquiet et sa coupe de cheveux à la Loulou, elle semble improviser devant la caméra du cinéaste. Fascinante réflexion autour de la vérité du jeu ou de l’artifice de la mise en scène. On n’a qu’une seule envie : revoir le film, encore et encore, pour mieux en apprécier la richesse.