Quadrophenia

Un film de Franc Roddam

Sortie en salles : 26 juin 2013
Visa n°51710
Royaume-Uni - 1979 - 2h - Couleur - 1:85 / Dolby - Anglais
Les droits d'exploitation de ce film sont échus

Derrière la musique des Who, un film désespéré sur la jeunesse perdue dans la drogue et la violence.

Quadrophenia - Affiche

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Franc Roddam - Le franc-tireur du cinéma anglais

D’abord rédacteur de publicités, Franc Roddam intègre la prestigieuse London Film School et se lance alors dans la réalisation de documentaires, comme The Family pour la BBC. En 1979, il signe son premier long métrage de fiction, Quadrophenia, tiré d’un opéra-rock des Who. Suite au succès du film, il tente sa chance à Hollywood et signe même un contrat avec la Fox. Envisageant de tourner un film sur la destruction de la forêt amazonienne, il est à deux doigts de convaincre Robert Redford de camper le rôle principal, mais le projet échoue.  Comme il l’a récemment confié, “à Hollywood, plus on est médiocre, mieux on s’en sort”.Après avoir refusé de très nombreux scénarios, il tourne quelques films décevants, comme The Lords of discipline (1983), autour du racisme dans une école militaire du sud des …tats-Unis, ou encore La Promise (1985), relecture du mythe de Frankenstein. En revanche, il mène une belle carrière à la télévision : après plusieurs documentaires, il imagine en 1990 un nouveau concept qui va bientôt s’exporter dans une trentaine de pays — “MasterChef”. “Ce que j’ai cherché à faire, c’est démocratiser la gastronomie car je pense qu’elle ne doit pas être réservée à une élite”. Toujours cet esprit frondeur…

Les Mod's

Abréviation de “modernists” — dénomination d’un style de jazz —, les Mod’s, apparus à la fin des années 50 en Angleterre, désignent de jeunes gens affichant ouvertement un goût pour l’hédonisme et la musique et le souci de l’apparence vestimentaire. Se déplaçant le plus souvent en scooters customisés, ils n’hésitent pas à consommer des amphétamines et à défendre leur “territoire” contre leurs ennemis jurés, les Rockers, qu’ils jugent décadents. D’ailleurs, ils affrontent parfois violemment ces adversaires vêtus de cuir, comme l’illustre la séquence de la rixe à Brighton dans Quadrophenia.

Privilégiant la chemise, le costume deux pièces et la parka militaire bien identifiable, ils mêlent des styles vestimentaires d’origines diverses, à l’image de leur éclectisme musical qui brasse le jazz, le R’n’B, le blues, voire le reggae. Mais le “look” est un signe de ralliement très fort chez les Mod’s. De même, la danse est l’un des piliers de leur mouvement : s’inspirant des danseurs noirs de la soul américaine, ils inventent de nouvelles chorégraphies comme en témoigne le clip des Who, “I Can’t Explain”.

Dès la deuxième moitié des années 60, la “subculture” des Mod’s perd de son ampleur dans le sud de l’Angleterre, les jeunes Britanniques préférant se tourner vers le mouvement hippie et le Flower Power. Il reste aujourd’hui des groupes de musique cultes, imprégnés par les Mod’s, comme les Who bien sûr, mais aussi The Birds, The Small Faces, The Kinks ou encore Georgie Fame and the Blue Flames.

Quadrophenia - La ballade de la génération perdue

Libre transposition de l’opéra-rock des Who, Quadrophenia est une ?uvre puissante sur le sentiment d’isolement, voire d’aliénation, d’une génération déboussolée à qui la société est incapable de proposer le moindre modèle. Et pourtant, le film, certes tourné au début de l’ère thatchérienne, se déroule dans l’Angleterre des années 60, à une époque où le pays s’affranchit des rationnements de l’immédiat après-guerre et connaît enfin la prospérité. Cependant, la jeunesse est plongée dans un profond malaise : elle se définit par opposition aux valeurs de la génération précédente et ne parvient pas à décrypter un monde en pleine mutation sociale et économique. Porte-drapeau de cette jeunesse en plein désarroi, Jimmy, le protagoniste, ne peut ni se tourner vers ses parents qui lui répètent qu’il n’est “pas normal”, ni trouver la moindre satisfaction dans son boulot asservissant de coursier. D’ailleurs, les adultes du film semblent nier jusqu’à l’existence du jeune homme. Lorsqu’il rentre chez lui, Jimmy découvre ses parents, affalés devant la télévision, qui ne daignent même pas lui adresser un seul regard : leur fils est invisible à leurs yeux. Et dans une scène d’une redoutable ironie, deux cadres quinquagénaires glosent en bombant le torse du “marché des jeunes” que certaines entreprises souhaitent s’accaparer, ignorant superbement Jimmy, pourtant en train de vomir toute sa bile devant eux !

Cousin pas si lointain des Droogs d’Orangemécanique, le protagoniste se laisse alors tenter par l’expérience du collectif et rejoint les “Mod’s”, groupe de jeunes gens à la dérive qui se fédèrent autour de signes vestimentaires et de la prise d’amphétamines. Autant dire qu’il n’y a là ni revendication politique, ni engagement humaniste : leur seul mot d’ordre consiste à enfourcher leurs scooters et à affronter leurs ennemis, les “Rockers”. Rarement un film aura aussi justement fustigé la vacuité du conformisme issu d’un anticonformisme érigé en dogme et de l’impasse idéologique et existentielle à laquelle mène ce type de sous-culture. La musique, formidable vecteur de l’air du temps, accompagne les élans futiles des Mod’s : si les Who sont bien entendu présents sur la bande-originale, on y entend aussi des rythmes soul et R’n’B presque mélancoliques dont cette jeunesse en souffrance était imprégnée. Tout comme l’âpreté naturaliste de la photo et de la lumière ajoute au sentiment d’aliénation de Jimmy et donne au film une étrange beauté.

Dans le rôle du jeune protagoniste, Phil Daniels inscrit formidablement le personnage dans la droite ligne des “Angry Young Men” du cinéma anglais, à l’image de Malcolm McDowell dans If… de Lindsay Anderson, de Tim Roth dans The Hit de Stephen Frears ou de David Thewlis dans Naked de Mike Leigh. Incarnant un jeune homme insouciant, l’acteur est capable de se muer en solitaire au visage rageur arpentant les paysages urbains désolés d’une Angleterre désespérante. Car Jimmy, au bout de ce parcours initiatique, perd toutes ses illusions : il comprend que ses copains s’accrochent à leur emploi médiocre de gagne-petit et lui reprochent d’avoir abandonné le sien, sa petite amie le trahit avec son meilleur ami, et “Ace Face” qu’il vénérait se révèle n’être qu’un groom dans un hôtel de luxe. Mais n’est-ce pas, au fond, le meilleur moyen de devenir adulte ?

Sting - Rocker cinéphile

Artiste de rock mondialement connu, Sting s’est notamment imposé grâce au groupe mythique Police à qui ont doit des titres comme “Roxanne” ou “Walking on the Moon”. C’est d’ailleurs suite au succès planétaire de “Fall Out” que les producteurs de Rien que pour vos yeux lui proposent d’incarner le méchant mégalo du film. Il refuse, préférant un second rôle dans Quadrophenia (1979), où il campe une sorte d’icône pour les Mod’s — même s’il n’est en réalité que groom d’hôtel de luxe !

Par la suite, il interprète un antihéros énigmatique dans Brimstone and Treacle (1982), comédie d’humour noir. On le retrouvera encore dans Dune (1984) de David Lynch, La Promise (1985) de Franc Roddam ou Bring on the Night (1986) de Michael Apted. S’il se fait plus rare sur les écrans par la suite, il effectue une apparition dans Arnaques, crimes et botanique (1998) de Guy Ritchie. Mais il se consacre surtout à la musique, signant notamment les partitions de Retour à Cold Mountain (2003) d’Anthony Minghella et Kate & Leopold (2002) de James Mangold, toutes deux citées à l’Oscar.